L’envers du tableau
Je croquais par plaisir le galbe de ses hanches
Sous mes doigts qui dansaient,
Un vrai travail d’orfèvre
Fait d’éthique et de tact.
Je devais dessiner l’essentiel, rien qu’à l’encre.
Colorier l’effrontée,
L’enivrante sorcière,
D’un trait fin mais intact.
J’allais la mettre à nue et sous trois teintes mates :
Du bleu pour faire la mer,
Un rouge pour faire la vie
Et le jaune pour briller.
Fallait bien souligner ses courbes délicates.
Place aux couleurs primaires,
Sur un papier choisi :
« Arches – grain satiné ».
Elle s’était endormie dans un rêve animé.
Sur la feuille inondée
Ses lèvres diluées
Lui prêtaient un sourire.
À qui l’adressait-elle ? Quelle ivresse enflammée
Ses ondoiements prisaient ?
Le charme improvisé
D’un bel homme à séduire ?
L’élégance n’est pas dupe mais son désir latent
Échange ses pinceaux
Contre un chant de sirène
Qui s’offre le premier rôle.
Elle laisse au demeurant, l’artiste figurant,
Noyer dans son tableau
Une ombre vénitienne
Où l’indigo s’affole.
Le peintre reproduit le modèle qui s’exhibe.
Une nymphe immobile
Fige pour l’éternité
Le reflet de son art.
Mais rien ne transparaît des langueurs érotiques
Et du corps si fragile,
L’abîme de volupté
Chante comme un « au revoir ».
À peine l’œuvre accomplie et l’ardente payée,
Qu’une brève amertume
Traverse l’atelier.
L’artisan s’en empare
Et la palette aidant, l’océan vérité
De la marée s’écume.
Un nu remaquillé
Servira de rempart.