19) L’envers du tableau

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L’envers du tableau

 

Je croquais par plaisir le galbe de ses hanches

Sous mes doigts qui dansaient,

Un vrai travail d’orfèvre

Fait d’éthique et de tact.

Je devais dessiner l’essentiel, rien qu’à l’encre.

Colorier l’effrontée,

L’enivrante sorcière,

D’un trait fin mais intact.

J’allais la mettre à nue et sous trois teintes mates :

Du bleu pour faire la mer,

Un rouge pour faire la vie

Et le jaune pour briller.

Fallait bien souligner ses courbes délicates.

Place aux couleurs primaires,

Sur un papier choisi :

« Arches – grain satiné ».

Elle s’était endormie dans un rêve animé.

Sur la feuille inondée

Ses lèvres diluées

Lui prêtaient un sourire.

À qui l’adressait-elle ? Quelle ivresse enflammée

Ses ondoiements prisaient ?

Le charme improvisé

D’un bel homme à séduire ?

L’élégance n’est pas dupe mais son désir latent

Échange ses pinceaux

Contre un chant de sirène

Qui s’offre le premier rôle.

Elle laisse au demeurant, l’artiste figurant,

Noyer dans son tableau

Une ombre vénitienne

Où l’indigo s’affole.

Le peintre reproduit le modèle qui s’exhibe.

Une nymphe immobile

Fige pour l’éternité

Le reflet de son art.

Mais rien ne transparaît des langueurs érotiques

Et du corps si fragile,

L’abîme de volupté

Chante comme un « au revoir ».

À peine l’œuvre accomplie et l’ardente payée,

Qu’une brève amertume

Traverse l’atelier.

L’artisan s’en empare

Et la palette aidant, l’océan vérité

De la marée s’écume.

Un nu remaquillé

Servira de rempart.

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